Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/141

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maîtresse adorée et gardée par un jaloux.

On voit bien ici la volonté sans influence sur l’amour : outré contre sa maîtresse et contre soi-même, comme l’on se précipiterait dans l’indifférence avec fureur ! Le seul bien de cette visite est de renouveler le trésor de la cristallisation.

La vie pour Salviati était divisée en périodes de quinze jours, qui prenaient la couleur de la soirée où il lui avait été permis de voir Mme * * * ; par exemple, il fut ravi de bonheur le 21 mai, et le 2 juin il ne rentrait pas chez lui, de peur de céder à la tentation de se brûler la cervelle.

J’ai vu ce soir-là que les romanciers ont très mal peint le moment du suicide. « Je suis altéré, me disait Salviati d’un air simple, j’ai besoin de prendre ce verre d’eau. » Je ne combattis point sa résolution, je lui fis mes adieux ; et il se mit à pleurer.

D’après le trouble qui accompagne les discours des amants, il ne serait pas sage de tirer des conséquences trop pressées d’un détail isolé de la conversation. Ils n’accusent juste leurs sentiments que dans les mots imprévus ; alors c’est le cri du cœur. Du reste, c’est de la physionomie de l’ensemble des choses dites que l’on peut tirer des inductions. Il faut se rappeler qu’assez souvent un être très ému n’a pas le temps d’apercevoir l’émotion de la personne qui cause la sienne.