Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/165

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même pour les contemporains. Nello della Pietra survécut pour passer le reste de-ses jours dans un silence qu’il ne rompit jamais.

Rien de plus noble et de plus délicat que la manière dont la jeune Pia adresse la parole au Dante. Elle désire être rappelée à la mémoire des amis que si jeune elle a laissés sur la terre ; toutefois en se nommant et désignant son mari, elle ne veut pas se permettre la plus petite plainte d’une cruauté inouïe, mais désormais irréparable, et seulement indique qu’il sait l’histoire de sa mort.

Cette constance dans la vengeance de l’orgueil ne se voit guère, je crois, que dans les pays du Midi.

En Piémont, je me suis trouvé l’involontaire témoin d’un fait à peu près semblable ; mais alors j’ignorais les détails. Je fus envoyé avec vingt-cinq dragons dans les bois le long de la Sesia, pour empêcher la contrebande. En arrivant le soir dans ce lieu sauvage et désert, j’aperçus entre les arbres les ruines d’un vieux château ; j’y allai : à mon grand étonnement, il était habité. J’y trouvai un noble du pays, à figure sinistre ; un homme qui avait six pieds de haut, et quarante ans : il me donna deux chambres en rechignant. J’y faisais de la musique avec mon maréchal des logis : après plusieurs jours, nous découvrîmes que notre