Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/167

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la montre, le manqua, passa à Gênes, s’embarqua, et l’on n’a plus eu de ses nouvelles. Ses biens ont été divisés.

Si, auprès des femmes à orgueil féminin, l’on prend les injures avec grâce, ce qui est facile à cause de l’habitude de la vie militaire, on ennuie ces âmes fières ; elles vous prennent pour un lâche, et arrivent bien vite à l’outrage. Ces caractères altiers cèdent avec plaisir aux hommes qu’elles voient intolérants avec les autres hommes. C’est, je crois, le seul parti à prendre, et il faut souvent avoir une querelle avec son voisin, pour l’éviter avec sa maîtresse.

Miss Cornel, célèbre actrice de Londres, voit un jour entrer chez elle à l’improviste le riche colonel qui lui était utile. Elle se trouvait avec un petit amant qui ne lui était qu’agréable. « M. un tel, dit-elle toute émue au colonel, est venu pour voir le poney que je veux vendre. — Je suis ici pour toute autre chose », reprit fièrement ce petit amant qui commençait à l’ennuyer, et que depuis cette réponse elle se mit à réaimer avec fureur[1]. Ces femmes-là sympathi-

  1. Je rentre toujours de chez miss Cornel plein d’admiration et de vues profondes sur les passions observées à nu. Dans sa manière de commander si impérieuse à ses domestiques, ce n’est pas du despotisme, c’est qu’elle voit avec netteté et rapidité ce qu’il faut faire.
    En colère contre moi au commencement de la visite, elle n’y songe plus à la fin. Elle me conte toute l’économie de sa passion pour Mortimer. « J’aime mieux le voir en société que seul avec moi. » Une femme du plus grand génie ne ferait pas mieux, c’est qu’elle ose être parfaitement naturelle, et qu’elle n’est gênée par aucune théorie. « Je suis plus heureuse actrice que femme d’un pair. » Grande âme que je dois me conserver amie pour mon instruction.