Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/209

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l’avantage de lui apprendre le prix de la femme qui le préfère à vous, et il vous devra l’amour qu’il prendra pour elle.

À l’égard du rival, il n’y a pas de milieu ; il faut ou plaisanter avec lui de l’air le plus dégagé qu’il se pourra, ou lui faire peur.

La jalousie étant le plus grand de tous les maux, on trouvera qu’exposer sa vie est une diversion agréable. Car alors nos rêveries ne sont pas toutes empoisonnées, et tournant au noir (par le mécanisme exposé ci-dessus) ; l’on peut se figurer quelquefois qu’on tue ce rival.

D’après le principe qu’on ne doit jamais envoyer des forces à l’ennemi, il faut cacher votre amour au rival, et, sous un prétexte de vanité et le plus éloigné possible de l’amour, lui dire en grand secret, avec toute la politesse possible, et de l’air le plus calme et le plus simple : « Monsieur, je ne sais pourquoi le public s’avise de me donner la petite une telle ; on a même la bonté de croire que j’en suis amoureux ; si vous la voulez, vous, je vous la céderais de grand cœur, si malheureusement je ne m’exposais à jouer un rôle ridicule. Dans six mois, prenez-la tant qu’il vous plaira, mais aujourd’hui l’honneur qu’on attache je ne sais pourquoi à ces choses-là m’oblige de vous dire, à mon grand regret, que si par