Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/231

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traîné, par une rage de cette espèce, à donner la mort à sa maîtresse qui ne l’aimait que par pique contre sa sœur. Il l’engagea un soir à aller se promener sur mer en tête-à-tête, dans un joli canot qu’il avait préparé lui-même ; arrivé en haute mer, il touche un ressort, le canot s’ouvre et disparaît pour toujours.

J’ai vu un homme de soixante ans se mettre à entretenir l’actrice la plus capricieuse, la plus folle, la plus aimable, la plus étonnante du théâtre de Londres, miss Cornel. « Et vous prétendez qu’elle vous soit fidèle ? » lui disait-on. — Pas le moins du monde ; seulement elle m’aimera, et peut-être à la folie. »

Et elle l’a aimé un an entier, et souvent à en perdre la raison ; et elle a été jusqu’à trois mois de suite sans lui donner de sujets de plainte. Il avait établi une pique d’amour-propre choquante, sous beaucoup de rapports, entre sa maîtresse et sa fille.

La pique triomphe dans l’amour-goût, dont elle fait le destin. C’est l’expérience par laquelle on différencie le mieux l’amour-goût de l’amour-passion. C’est une vieille maxime de guerre que l’on dit aux jeunes gens, lorsqu’ils arrivent au régiment, que si l’on a un billet de logement pour une maison où il y a deux sœurs, et que l’on veuille être aimé de l’une d’elles, il faut