Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/246

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Bien loin de chercher grossièrement et ouvertement à distraire l’amant, l’ami guérisseur doit lui parler à satiété, et de son amour et de sa maîtresse, et en même temps, faire naître sous ses pas une foule de petits événements. Quand le voyage isole il n’est pas remède[1], et même rien ne rappelle plus tendrement ce qu’on aime, que les contrastes. C’est au milieu des brillants salons de Paris, et auprès des femmes vantées comme les plus aimables, que j’ai le plus aimé ma pauvre maîtresse, solitaire et triste, dans son petit appartement, au fond de la Romagne[2].

J’épiais sur la pendule superbe du brillant salon où j’étais exilé, l’heure où elle sort à pied, et par la pluie, pour aller voir son amie. C’est en cherchant à l’oublier que j’ai vu que les contrastes sont la source de souvenirs moins vifs, mais bien plus célestes que ceux que l’on va chercher aux lieux où jadis on l’a rencontrée.

Pour que l’absence soit utile, il faut que l’ami guérisseur soit toujours là, pour faire faire à l’amant toutes les réflexions possibles sur les événements de son amour, et qu’il tâche de rendre ses réflexions en-

  1. J’ai pleuré presque tous les jours (Précieuses paroles du 10 juin).
  2. Saiviati