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Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/15

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pour les gens au-dessous de tout ; c’est prêter le flanc à toutes les mauvaises plaisanteries possibles ; de là les louanges exagérées des filles, dans la bouche des jeunes gens qui redoutent leur cœur. L’appréhension extrême et grossière de laisser voir soi inférieur fait le principe de la conversation des gens de province. N’en a-t-on pas vu un dernièrement qui, en apprenant l’assassinat de monseigneur le duc de Berri, a répondu : Je le savais[1].

Au moyen âge, la présence du danger trempait les cœurs, et c’est là, si je ne me trompe, la seconde cause de l’étonnante supériorité des hommes du xvie siècle. L’originalité qui est chez nous rare, ridicule, dangereuse et souvent affectée, était alors commune et sans fard. Les pays où le danger montre encore souvent sa main de fer, comme la Corse[2], l’Es-

  1. Historique. Plusieurs, quoique fort curieux, sont choqués d’apprendre des nouvelles : ils redoutent de paraître inférieurs à celui qui les leur conte.
  2. Mémoires de M. Réalier-Dumas. La Corse, qui par sa population, cent quatre-vingt mille âmes, ne formerait pas la moitié de la plupart des départements français, a donné, dans ces derniers temps, Salliceti, Pozzo-di-Borgo, le général Sébastiani, Cervoni, Abatucci, Lucien et Napoléon Bonaparte, Arena. Le département du Nord, qui a neuf cent mille habitants, est loin d’une pareille liste. C’est qu’en Corse chacun, en sortant de chez soi, peut rencontrer un coup de fusil ; et le Corse, au lieu de se soumettre en vrai chrétien, cherche à se défendre et surtout à se venger. Voilà comment se fabriquent les âmes à la Napoléon. Il y a loin de là à un palais garni de menins et de chambellans, et à Fénelon obligé de raisonner son respect pour monseigneur, parlant à monseigneur lui-même âgé de douze ans. Voir les ouvrages de ce grand écrivain.