Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/157

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remplit tous les moments de l’existence ; mais il faut convenir que celui de don Juan est bien plus brillant. Si Saint-Preux change de goût au milieu de sa vie, solitaire et retiré, avec des habitudes pensives, il se trouve sur la scène du monde à la dernière place ; tandis que don Juan se voit une réputation superbe parmi les hommes, et pourra peut-être encore plaire à une femme tendre en lui faisant le sacrifice sincère de ses goûts libertins.

Par toutes les raisons présentées jusqu’ici, il me semble que la question se balance. Ce qui me fait croire les Werther plus heureux, c’est que don Juan réduit l’amour à n’être qu’une affaire ordinaire. Au lieu d’avoir comme Werther des réalités qui se modèlent sur ses désirs, il a des désirs imparfaitement satisfaits par la froide réalité, comme dans l’ambition, l’avarice et les autres passions. Au lieu de se perdre dans les rêveries enchanteresses de la cristallisation, il pense comme un général au succès de ses manœuvres[1], et en un mot tue l’amour au lieu d’en jouir plus qu’un autre, comme croit le vulgaire.

Ce qui précède me semble sans réplique. Une autre raison qui l’est pour le moins autant à mes yeux, mais, que grâce à la

  1. Comparez Lovelace à Tom Jones.