Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/159

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faveur de la vertu en amour. C’est que par les lois du roman la peinture de l’amour vertueux est essentiellement ennuyeuse et peu intéressante. Le sentiment de la vertu paraît ainsi de loin neutraliser celui de l’amour, et les paroles amour vertueux semblent synonymes d’amour faible. Mais tout cela est une infirmité de l’art de peindre, qui ne fait rien à la passion telle qu’elle existe dans la nature[1].

Je demande la permission de faire le portrait du plus intime de mes amis.

Don Juan abjure tous les devoirs qui le lient au reste des hommes. Dans le grand marché de la vie, c’est un marchand de mauvaise foi qui prend toujours et ne paye jamais. L’idée de l’égalité lui inspire la rage que l’eau donne à l’hydrophobe ; c’est pour cela que l’orgueil de la naissance va si bien au caractère de don Juan. Avec l’idée de l’égalité des droits disparaît celle de la justice, ou plutôt si don Juan est sorti d’un sang illustre, ces idées communes ne l’ont jamais approché ; et je croirais assez qu’un homme qui porte un nom historique est plus disposé qu’un autre à mettre le feu

  1. Si l’on peint aux yeux du spectateur le sentiment de la vertu à côté du sentiment de l’amour, on se trouve avoir représenté un cœur partagé entre deux sentiments. La vertu dans les romans n’est bonne qu’à sacrifier : Julie d’Étanges.