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Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/75

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abandonnait sa pauvre maîtresse parce qu’il s’apercevait qu’elle avait trente-deux ans, était perdu d’honneur dans l’aimable Provence ; il n’avait d’autre ressource que de s’enterrer dans la solitude d’un cloître. Un homme non pas généreux, mais simplement prudent, avait donc intérêt à ne pas jouer alors plus de passion qu’il n’en avait.

Nous devinons tous cela, car il nous reste bien peu de monuments donnant des notions exactes…

Il faut juger l’ensemble des mœurs d’après quelques faits particuliers. Vous connaissez l’anecdote de ce poète qui avait offensé sa dame, après deux ans de désespoir elle daigna enfin répondre à ses nombreux messages, et lui fit dire que s’il se faisait arracher un ongle et qu’il lui fît présenter cet ongle par cinquante chevaliers amoureux et fidèles, elle pourrait peut-être lui pardonner. Le poète se hâta de se soumettre à l’opération douloureuse. Cinquante chevaliers bien venus de leurs dames allèrent présenter cet ongle à la belle offensée avec toute la pompe possible. Cela fit une cérémonie aussi imposante que l’entrée d’un des princes du sang dans une des villes du royaume. L’amant couvert des livrées du repentir suivait de loin son ongle. La dame, après avoir vu s’accomplir toute