Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/191

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des femmes vulgaires. À son âge, d’ailleurs, ajoutait-elle, on s’exagère un peu les ravages du temps ; un homme plus avancé dans la vie…

La comtesse, qui se promenait dans son salon, s’arrêta devant une glace, puis sourit. Il faut savoir que depuis quelques mois le cœur de madame Pietranera était attaqué d’une façon sérieuse et par un singulier personnage. Peu après le départ de Fabrice pour la France, la comtesse qui, sans qu’elle se l’avouât tout à fait, commençait déjà à s’occuper beaucoup de lui, était tombée dans une profonde mélancolie. Toutes ses occupations lui semblaient sans plaisir, et, si l’on ose ainsi parler, sans saveur ; elle se disait que Napoléon voulant s’attacher ses peuples d’Italie prendrait Fabrice pour aide de camp. — Il est perdu pour moi ! s’écriait-elle en pleurant, je ne le reverrai plus ; il m’écrira, mais que serai-je pour lui dans dix ans ?

Ce fut dans ces dispositions qu’elle fit un voyage à Milan ; elle espérait y trouver des nouvelles plus directes de Napoléon, et, qui sait, peut-être par contre-coup des nouvelles de Fabrice. Sans se l’avouer, cette âme active commençait à être bien lasse de la vie monotone qu’elle menait à la campagne ; c’est s’empêcher de mourir, se disait-elle, ce n’est pas vivre.