Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/215

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d’avance, il croit sérieusement que l’honneur consiste à avoir un cordon, et il a honte de son bien. Il vint il y a un an me proposer de fonder un hôpital pour gagner ce cordon ; je me moquai de lui, mais il ne s’est point moqué de moi quand je lui ai proposé un mariage ; ma première condition a été, bien entendu, que jamais il ne remettrait le pied dans Parme.

— Mais savez-vous que ce que vous me proposez là est fort immoral, dit la comtesse ?

— Pas plus immoral que tout ce qu’on fait à notre cour et dans vingt autres. Le pouvoir absolu a cela de commode qu’il sanctifie tout aux yeux des peuples ; or, qu’est-ce qu’un ridicule que personne n’aperçoit ? Notre politique, pendant vingt ans, va consister à avoir peur des jacobins, et quelle peur ! Chaque année nous nous croirons à la veille de 93. Vous entendrez, j’espère, les phrases que je fais là-dessus à mes réceptions ! C’est beau ! Tout ce qui pourra diminuer un peu cette peur sera souverainement moral aux yeux des nobles et des dévots. Or, à Parme, tout ce qui n’est pas noble ou dévot est en prison, ou fait ses paquets pour y entrer ; soyez bien convaincue que ce mariage ne semblera singulier chez nous que du jour où je serai disgracié. Cet