Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/280

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jeune, et qui, pour une femme, doit sembler unique au monde !

Une idée atroce saisit le comte comme une crampe : le poignarder là devant elle, et me tuer après ?

Il fit un tour dans la chambre se soutenant à peine sur ses jambes, mais la main serrée convulsivement autour du manche de son poignard. Aucun des deux ne faisait attention à ce qu’il pouvait faire. Il dit qu’il allait donner un ordre à son laquais, on ne l’entendit même pas ; la duchesse riait tendrement d’un mot que Fabrice venait de lui adresser. Le comte s’approcha d’une lampe dans le premier salon, et regarda si la pointe de son poignard était bien affilée. Il faut être gracieux et de manières parfaites envers ce jeune homme, se disait-il en revenant et se rapprochant d’eux.

Il devenait fou : il lui sembla qu’en se penchant ils se donnaient des baisers, là, sous ses yeux. Cela est impossible en ma présence, se dit-il ; ma raison s’égare. Il faut se calmer ; si j’ai des manières rudes, la duchesse est capable, par simple pique de vanité, de le suivre à Belgirate et là, ou pendant le voyage, le hasard peut amener un mot qui donnera un nom à ce qu’ils sentent l’un pour l’autre ; et après, en un instant, toutes les conséquences.

La solitude rendra ce mot décisif, et