Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/60

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sur la côte un prêtre, ou si l’on voyait un corbeau s’envoler à main gauche, on se hâtait de remettre le cadenas à la chaîne du bateau, et chacun allait se recoucher. Ainsi l’abbé Blanès n’avait pas communiqué sa science assez difficile à Fabrice ; mais, à son insu, il lui avait inoculé une confiance illimitée dans les signes qui peuvent prédire l’avenir.

Le marquis sentait qu’un accident arrivé à sa correspondance chiffrée pouvait le mettre à la merci de sa sœur ; aussi tous les ans, à l’époque de la Sainte-Angela, fête de la comtesse Pietranera, Fabrice obtenait la permission d’aller passer huit jours à Milan. Il vivait toute l’année dans l’espérance ou le regret de ces huit jours. En cette grande occasion, pour accomplir ce voyage politique, le marquis remettait à son fils quatre écus, et, suivant l’usage, ne donnait rien à sa femme, qui le menait. Mais un des cuisiniers, six laquais et un cocher avec deux chevaux, partaient pour Côme ; la veille du voyage, et chaque jour, à Milan, la marquise trouvait une voiture à ses ordres, et un dîner de douze couverts.

Le genre de vie boudeur que menait le marquis del Dongo était assurément fort peu divertissant ; mais il avait cet avantage qu’il enrichissait à jamais les familles qui avaient la bonté de s’y livrer. Le mar-