Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me trahiront à leur insu ! s’écria Fabrice avec une sorte de hauteur héroïque.

— Parlez donc avec plus de respect, dit la comtesse souriant au milieu de ses larmes, du sexe qui fera votre fortune ; car vous déplairez toujours aux hommes, vous avez trop de feu pour les âmes prosaïques.

La marquise fondit en larmes en apprenant l’étrange projet de son fils ; elle n’en sentait pas l’héroïsme, et fit tout son possible pour le retenir. Quand elle fut convaincue que rien au monde, excepté les murs d’une prison, ne pourrait l’empêcher de partir, elle lui remit le peu d’argent qu’elle possédait ; puis elle se souvint qu’elle avait depuis la veille huit ou dix petits diamants valant peut-être dix mille francs, que le marquis lui avait confiés pour les faire monter à Milan. Les sœurs de Fabrice entrèrent chez leur mère tandis que la comtesse cousait ces diamants dans l’habit de voyage de notre héros ; il rendait à ces pauvres femmes leurs chétifs napoléons. Ses sœurs furent tellement enthousiasmées de son projet, elles l’embrassaient avec une joie si bruyante qu’il prit à la main quelques diamants qui restaient encore à cacher, et voulut partir sur-le-champ.

— Vous me trahiriez à votre insu, dit-il