Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/227

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bois ; je me rassure par cette pensée : je n’ai fait de mal à personne, qui pourrait me haïr ? Ce propos fut trouvé hardi, il rappelait les injures proférées par les libéraux du pays, gens fort insolents.

Le jour de la promenade dont nous parlons, le propos du prince revint à l’esprit de la duchesse, en remarquant un homme fort mal vêtu qui la suivait de loin à travers le bois. À un détour imprévu que fit la duchesse en continuant sa promenade, cet inconnu se trouva tellement près d’elle qu’elle eut peur. Dans le premier mouvement elle appela son garde-chasse qu’elle avait laissé à mille pas de là, dans le parterre de fleurs tout près du château. L’inconnu eut le temps de s’approcher d’elle et se jeta à ses pieds. Il était jeune, fort bel homme, mais horriblement mal mis ; ses habits avaient des déchirures d’un pied de long, mais ses yeux respiraient le feu d’une âme ardente.

— Je suis condamné à mort, je suis le médecin Ferrante Palla, je meurs de faim ainsi que mes cinq enfants.

La duchesse avait remarqué qu’il était horriblement maigre ; mais ses yeux étaient tellement beaux et remplis d’une exaltation si tendre, qu’ils lui ôtèrent l’idée du crime. Pallagi, pensa-t-elle, aurait bien dû donner de tels yeux au saint Jean dans le désert