Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/318

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homme, parce qu’il n’avait point trop de peur au milieu des premiers coups de fusil qu’il entendît de sa vie. Il ne manque point d’esprit, il a même un meilleur ton que son père ; enfin, je ne saurais trop le répéter, le fond du cœur est honnête et bon ; mais ce cœur sincère et jeune se crispe quand on lui raconte un tour de fripon, et croit qu’il faut avoir l’âme bien noire soi-même pour apercevoir de telles choses : songez à l’éducation qu’il a reçue !…

— Votre Excellence devait songer qu’un jour il serait le maître, et placer un homme d’esprit auprès de lui.

— D’abord, nous avons l’exemple de l’abbé de Condillac, qui, appelé par le marquis de Felino, mon prédécesseur, ne fit de son élève que le roi des nigauds. Il allait à la procession, et, en 1796, il ne sut pas traiter avec le général Bonaparte, qui eût triplé l’étendue de ses états. En second lieu, je n’ai jamais cru rester ministre dix ans de suite. Maintenant que je suis désabusé de tout, et cela depuis un mois, je veux réunir un million, avant de laisser à elle-même cette pétaudière que j’ai sauvée. Sans moi, Parme eût été république pendant deux mois, avec le poète Ferrante Palla pour dictateur.

Ce mot fit rougir la duchesse, le comte ignorait tout.