Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/71

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de ses ennemis, et peut-être à cause de moi ils lui donneront du poison ! Comment peindre le moment de désespoir qui suivit cet exposé de la situation, chez une femme aussi peu raisonnable, aussi esclave de la sensation présente, et, sans se l’avouer, éperdument amoureuse du jeune prisonnier ? Ce furent des cris inarticulés, des transports de rage, des mouvements convulsifs, mais pas une larme. Elle renvoyait ses femmes pour les cacher, elle pensait qu’elle allait éclater en sanglots dès qu’elle se trouverait seule ; mais les larmes, ce premier soulagement des grandes douleurs, lui manquèrent tout à fait. La colère, l’indignation, le sentiment de son infériorité vis-à-vis du prince, dominaient trop cette âme altière.

Suis-je assez humiliée ! s’écriait-elle à chaque instant ; on m’outrage, et, bien plus, on expose la vie de Fabrice ! et je ne me vengerai pas ! Halte-là, mon prince ! vous me tuez, soit, vous en avez le pouvoir ; mais ensuite moi j’aurai votre vie. Hélas ! pauvre Fabrice, à quoi cela te servira-t-il ? Quelle différence avec ce jour où je voulus quitter Parme ! et pourtant alors je me croyais malheureuse… quel aveuglement ! J’allais briser toutes les habitudes d’une vie agréable : hélas ! sans le savoir, je touchais à un événement