Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/125

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui allèrent pour le comte, premier ministre, jusqu’à passer quelquefois vingt jours entiers sans voir son maître en particulier, Mosca l’emporta ; il fit nommer le général Fabio Conti, le prétendu libéral, gouverneur de la citadelle où l’on enfermait les libéraux jugés par Rassi. « Si Conti use d’indulgence envers ses prisonniers, disait Mosca à son amie, on le disgracie comme un jacobin auquel ses idées politiques font oublier ses devoirs de général, s’il se montre sévère et impitoyable, et c’est ce me semble de ce côté-là qu’il inclinera, il cesse d’être le chef de son propre parti, et s’aliène toutes les familles qui ont un des leurs à la citadelle. Ce pauvre homme sait prendre un air tout confit de respect à l’approche du prince ; au besoin il change de costume quatre fois en un jour ; il peut discuter une question d’étiquette, mais ce n’est point une tête capable de suivre le chemin difficile par lequel seulement il peut se sauver ; et dans tous les cas je suis là. »

Le lendemain de la nomination du général Fabio Conti, qui terminait la crise ministérielle on apprit que Parme aurait un journal ultra-monarchique’.

— Que de querelles ce journal va faire naître ! disait la duchesse.

— Ce journal, dont l’idée est peut-être mon chef-d’œuvre, répondait le comte en riant, peu à peu je m’en laisserai bien malgré moi ôter la direction par les ultra-furibonds. J’ai fait attacher de beaux appointements aux places de rédacteur. De tous côtés on va solliciter ces places : cette affaire va nous faire passer un mois ou deux, et l’on oubliera les périls que je viens de courir. Les graves personnages P. et D. sont déjà sur les rangs.

— Mais ce journal sera d’une absurdité révoltante.

— J’y compte bien, répliquait le comte. Le prince le lira tous les matins et admirera ma doctrine à moi qui l’ai fondé. Pour les détails, il approuvera ou sera choqué ; des heures qu’il consacre au travail, en voilà deux de prises. Le journal se fera des affaires, mais à l’époque où arriveront les plaintes sérieuses, dans huit ou dix mois, il sera entièrement dans les mains des ultra-furibonds. Ce sera ce parti qui me gêne qui devra répondre, moi j’élèverai des objections contre le journal ; au fond, j’aime mieux cent absurdités atroces qu’un seul pendu. Qui se souvient d’une absurdité deux ans après le numéro du journal officiel ? Au lieu que les fils et la famille du pendu me vouent une haine qui durera autant que moi et qui peut-être abrégera ma vie.

La duchesse, toujours passionnée pour quelque chose, toujours agissante, jamais oisive, avait plus d’esprit que toute la cour de Parme, mais elle manquait de patience et d’impassibilité pour réussir dans les intrigues. Toutefois, elle était parvenue à suivre avec passion les intérêts des diverses coteries, elle commençait