Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/166

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— Votre simplicité évangélique a gagné le cœur de notre vénérable archevêque, le père Landriani. Un de ces jours nous allons faire de vous un grand-vicaire, et, ce qui fait le charme de cette plaisanterie, c’est que les trois grands-vicaires actuels, gens de mérite, travailleurs, et dont deux, je pense, étaient grands-vicaires avant votre naissance, demanderont, par une belle lettre adressée à leur archevêque, que vous soyez le premier en rang parmi eux. Ces messieurs se fondent sur vos vertus d’abord, et ensuite sur ce que vous êtes petit-neveu du célèbre archevêque Ascagne del Dongo. Quand j’ai appris le respect qu’on avait pour vos vertus, j’ai sur-le-champ nommé capitaine le neveu du plus ancien des vicaires généraux ; il était lieutenant depuis le siège de Tarragone par le maréchal Suchet.

— Va-t’en tout de suite en négligé, comme tu es, faire une visite de tendresse à ton archevêque s’écria la duchesse. Raconte-lui le mariage de ta sœur ; quand il saura qu’elle va être duchesse, il te trouvera bien plus apostolique. Du reste, tu ignores tout ce que le comte vient de te confier sur ta future nomination.

Fabrice courut au palais archiépiscopal ; il y fut simple et modeste, c’était un ton qu’il prenait avec trop de facilité ; au contraire, il avait besoin d’efforts pour jouer le grand seigneur. Tout en écoutant les récits un peu longs de Mgr Landriani, il se disait : « Aurais-je dû tirer un coup de pistolet au valet de chambre qui tenait par la bride le cheval maigre ? » Sa raison lui disait oui, mais son cœur ne pouvait s’accoutumer à l’image sanglante du beau jeune homme tombant de cheval défiguré.

« Cette prison où j’allais m’engloutir, si le cheval eût bronché, était-elle la prison dont je suis menacé par tant de présages ? »

Cette question était de la dernière importance pour lui, et l’archevêque fut content de son air de profonde attention.

XI

Au sortir de l’archevêché, Fabrice courut chez la petite Marietta ; il entendit de loin la grosse voix de Giletti qui avait fait venir du vin et se régalait avec le souffleur et les moucheurs de chandelle, ses amis. La mammacia, qui faisait fonctions de mère, répondit seule à son signal.

— Il y a du nouveau depuis toi, s’écria-t-elle ; deux ou trois de nos acteurs sont accusés d’avoir célébré par une orgie la fête du grand Napoléon, et notre pauvre troupe, qu’on appelle Jacobine, a reçu l’ordre de vider les Etats de Parme, et vive Napo-