Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/171

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des princes de Parme)’; ces fouilles s’étendaient dans la plaine tout près de la grande route qui conduit de Parme au pont de Casal Maggiore, première ville de l’Autriche. Les ouvriers coupaient la plaine par une longue tranchée profonde de huit pieds et aussi étroite que possible, on était occupé à rechercher le long de l’ancienne voie romaine, les ruines d’un second temple qui, disait-on dans le pays, existait encore au moyen âge. Malgré les ordres du prince, plusieurs paysans ne voyaient pas sans jalousie ces longs fossés traversant leurs propriétés. Quoi qu’on pût leur dire, ils s’imaginaient qu’on était à la recherche d’un trésor, et la présence de Fabrice était surtout convenable pour empêcher quelque petite émeute. Il ne s’ennuyait point, il suivait ces travaux avec passion ; de temps à autre on trouvait quelque médaille, et il ne voulait pas laisser le temps aux ouvriers de s’accorder entre eux pour l’escamoter.

La journée était belle, il pouvait être six heures du matin : il avait emprunté un vieux fusil à un coup, il tira quelques alouettes, l’une d’elles, blessée, alla tomber sur la grande route ; Fabrice, en la poursuivant, aperçut de loin une voiture qui venait de Parme et se dirigeait vers la frontière de Casal Maggiore. Il venait de recharger son fusil lorsque, la voiture fort délabrée s’approchant au tout petit pas, il reconnut la petite Marietta, elle avait à ses côtés le grand escogriffe Giletti, et cette femme âgée qu’elle faisait Passer pour sa mère.

Giletti s’imagina que Fabrice s’était placé ainsi au milieu de la route, et un fusil à la main, pour l’insulter et peut-être même pour lui enlever la petite Marietta. En homme de cœur il sauta à bas de la voiture, il avait dans la main gauche un grand pistolet fort rouillé, et tenait de la droite une épée encore dans son fourreau, dont il se servait lorsque les besoins de la troupe forçaient de lui confier quelque rôle de marquis.

— Ah ! brigand ! s’écria-t-il, je suis bien aise de te trouver ici à une lieue de la frontière ; je vais te faire ton affaire ; tu n’es plus protégé ici par tes bas violets.

Fabrice faisait des mines à la petite Marietta et ne s’occupait guère des cris jaloux du Giletti, lorsque tout à coup il vit à trois pieds de sa poitrine le bout du pistolet rouillé ; il n’eut que le temps de donner un coup sur ce pistolet, en se servant de son fusil comme d’un bâton : le pistolet partit, mais ne blessa personne.

— Arrêtez donc, f…, cria Giletti au veturino.

En même temps il eut l’adresse de sauter sur le bout du fusil de son adversaire et de le tenir éloigné de la direction de son corps ; Fabrice et lui tiraient le fusil chacun de toutes ses forces. Giletti, beaucoup plus vigoureux, plaçant une main devant l’autre, avançait toujours vers la batterie, et était sur le point de s’emparer du