pendant jusqu’à trois pieds de terre, mettaient la porte de la Trattoria à l’abri des rayons directs du soleil. Là, une femme à demi nue et fort jolie reçut notre héros avec respect, ce qui lui fit le plus vif plaisir ; il se hâta de lui dire qu’il mourait de faim. Pendant que la femme préparait le déjeuner, entra un homme d’une trentaine d’années, il n’avait pas salué en entrant ; tout à coup il se releva du banc où il s’était jeté d’un air familier, et dit à Fabrice :
— Eccelenza, la riverisco (je salue Votre Excellence.)
Fabrice était très gai en ce moment, et au lieu de former des projets sinistres, il répondit en riant :
— Et d’où diable connais-tu Mon Excellence ?
— Comment ! Votre Excellence ne reconnaît pas Ludovic, l’un des cochers de Mme la duchesse Sanseverina ? A Sacca, la maison de campagne où nous allions tous les ans, je prenais toujours la fièvre ; j’ai demandé la pension à Madame et me suis retiré. Me voici riche ; au lieu de la pension de douze écus par an à laquelle tout au plus je pouvais avoir droit, Madame m’a dit que pour me donner le loisir de faire des sonnets, car je suis poète en langue vulgaire, elle m’accordait vingt-quatre écus, et M. le comte m’a dit que si jamais j’étais malheureux, je n’avais qu’à venir lui parler. J’ai eu l’honneur de mener Monsignore pendant un relais lorsqu’il est allé faire sa retraite comme un bon chrétien à la chartreuse de Velleja.
Fabrice regarda cet homme et le reconnut un peu. C’était un des cochers les plus coquets de la casa Sanseverina : maintenant qu’il était riche, disait-il, il avait pour tout vêtement une grosse chemise déchirée et une culotte de toile, jadis teinte en noir, qui lui arrivait à peine aux genoux ; une paire de souliers et un mauvais chapeau complétaient l’équipage. De plus, il ne s’était pas fait la barbe depuis quinze jours. En mangeant son omelette, Fabrice fit la conversation avec lui absolument comme d’égal à égal ; il crut voir que Ludovic était l’amant de l’hôtesse. Il termina rapidement son déjeuner, puis dit à demi-voix à Ludovic :
— J’ai un mot pour vous.
— Votre Excellence peut parler librement devant elle, c’est une femme réellement bonne, dit Ludovic d’un air tendre.
— Eh bien ! mes amis, reprit Fabrice sans hésiter, je suis malheureux, et j’ai besoin de votre secours. D’abord il n’y a rien de politique dans mon affaire ; j’ai tout simplement tué un homme qui voulait m’assassiner parce que je parlais de sa maîtresse.
— Pauvre jeune homme ! dit l’hôtesse.
— Que Votre Excellence compte sur moi ! s’écria le cocher avec des yeux enflammés par le dévouement le plus vif ; où Son Excellence veut-elle aller ?
— A Ferrare. J’ai un passeport, mais j’aimerais mieux ne