Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/188

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— Soixante-trois, puisqu’il y en a sept d’allumés.

« Ah ! se dit Fabrice, soixante-trois et sept font soixante-dix : ceci est encore à noter. » Il paya les cierges, plaça lui-même et alluma les sept premiers, puis se mit à genoux pour lui faire son offrande, et dit à la vieille femme en se relevant :

— C’est pour grâce reçue.

— Je meurs de faim, dit Fabrice à Ludovic en le rejoignant.

— N’entrons point dans un cabaret, allons au logement, la maîtresse de la maison ira vous acheter ce qu’il faut pour déjeuner ; elle volera une vingtaine de sous et en sera d’autant plus attachée au nouvel arrivant.

— Ceci ne tend à rien moins qu’à me faire mourir de faim une grande heure de plus, dit Fabrice en riant avec la sérénité d’un enfant, et il entra dans un cabaret voisin de Saint-Pétrone.

A son extrême surprise, il vit, à une table voisine de celle où il était placé, Pépé, le premier valet de chambre de sa tante, celui-là même qui autrefois était venu à sa rencontre jusqu’à Genève. Fabrice lui fit signe de se taire ; puis, après avoir déjeuné rapidement, le sourire du bonheur errant sur ses lèvres, il se leva ; Pépé le suivit, et, pour la troisième fois, notre héros entra dans Saint-Pétrone. Par discrétion, Ludovic resta à se promener sur la place.

— Eh ! mon Dieu, monseigneur ! Comment vont vos blessures ? Mme la duchesse est horriblement inquiète ; un jour entier elle vous a cru mort abandonné dans quelque île du Pô ; je vais lui expédier un courrier à l’instant même. Je vous cherche depuis six jours, j’en ai passé trois à Ferrare, courant toutes les auberges.

— Avez-vous un passeport pour moi ?

— J’en ai trois différents : l’un avec les noms et les titres de Votre Excellence ; le second avec votre nom seulement, et le troisième sous un nom supposé, Joseph Bossi ; chaque passeport est en double expédition, selon que Votre Excellence voudra arriver de Florence ou de Modène. Il ne s’agit que de faire une promenade hors de la ville. M. le comte vous verrait loger avec plaisir à l’Auberge del Pelegrino, dont le maître est son ami.

Fabrice, ayant l’air de marcher au hasard s’avança dans la nef droite de l’église jusqu’au lieu où ses cierges étaient allumés ; ses yeux se fixèrent sur la madone de Cimabué, puis il dit à Pépé en s’agenouillant :

— Il faut que je rende grâces un instant.

Pépé l’imita. Au sortir de l’église, Pépé remarqua que Fabrice donnait une pièce de vingt francs au premier pauvre qui lui demanda l’aumône ; ce mendiant jeta des cris de reconnaissance qui attirèrent sur les pas de l’être charitable les nuées de pauvres de tout genre qui ornent d’ordinaire la place de Saint-Pétrone. Tous voulaient avoir leur part du napoléon. Les femmes, désespérant