Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/204

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découvrir ce rival que ses regards affamés cherchaient de toutes parts.

A chaque instant, la Fausta, après avoir promené les yeux dans toutes les parties de l’église finissait par arrêter des regards chargés d’amour et de bonheur, sur le coin obscur où M *** s’était caché. Dans un cœur passionné, l’amour est sujet à exagérer les nuances les plus légères, il en tire les conséquences les plus ridicules, le pauvre M *** ne finit-il pas par se persuader que la Fausta l’avait vu, que malgré ses efforts, s’étant aperçue de sa mortelle jalousie, elle voulait la lui reprocher et en même temps l’en consoler par ces regards si tendres.

Le tombeau du cardinal, derrière lequel M *** s’était placé en observation, était élevé de quatre ou cinq pieds sur le pavé de marbre de Saint-Jean. La messe à la mode finie vers les une heure, la plupart des fidèles s’en allèrent, et la Fausta congédia les beaux de la ville, sous un prétexte de dévotion, restée agenouillée sur sa chaise, ses yeux, devenus plus tendres et plus brillants, étaient fixés sur M *** ; depuis qu’il n’y avait plus que peu de personnes dans l’église, ses regards ne se donnaient plus la peine de la parcourir tout entière avant de s’arrêter avec bonheur sur la statue du cardinal. « Que de délicatesses ! » se disait le comte M *** se croyant regardé. Enfin la Fausta se leva et sortit brusquement, après avoir fait, avec les mains, quelques mouvements singuliers.

M *** ivre d’amour et presque tout à fait désabusé dé sa folle jalousie, quittait sa place pour voler au palais de sa maîtresse et la remercier mille et mille fois, lorsqu’en passant devant le tombeau du cardinal il aperçut un jeune homme tout en noir ; cet être funeste s’était tenu jusque-là agenouillé tout contre l’épitaphe du tombeau, et de façon à ce que les regards de l’amant jaloux qui le cherchaient pussent passer par-dessus sa tête et ne point le voir.

Ce jeune homme se leva, marcha vite et fut à l’instant même environné par sept ou huit personnages assez gauches, d’un aspect singulier et qui semblaient lui appartenir. M *** se précipita sur ses pas, mais, sans qu’il y eût rien de trop marqué, il fut arrêté dans le défilé que forme le tambour de bois de la porte d’entrée, par ces hommes gauches qui protégeaient son rival ; enfin, lorsque après eux il arriva à la rue, il ne put que voir fermer la portière d’une voiture de chétive apparence, laquelle, par un contraste bizarre, était attelée de deux excellents chevaux, et en un moment fut hors de sa vue.

Il rentra chez lui haletant de fureur ; bientôt arrivèrent ses observateurs, qui lui rapportèrent froidement que ce jour-là, l’amant mystérieux, déguisé en prêtre, s’était agenouillé fort dévotement, tout contre un tombeau placé à l’entrée d’une