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il avait bu trop d’eau-de-vie, il roulait un peu sur sa selle ; il se souvint fort à propos d’un mot que répétait le cocher de sa mère : Quand on a levé le coude, il faut regarder entre les oreilles de son cheval, et faire comme fait le voisin. Le maréchal s’arrêta longtemps auprès de plusieurs corps de cavalerie qu’il fit charger ; mais pendant une heure ou deux notre héros n’eut guère la conscience de ce qui se passait autour de lui. Il se sentait fort las, et quand son cheval galopait, il retombait sur la selle comme un morceau de plomb.

Tout à coup le maréchal-des-logis cria à ses hommes :

— Vous ne voyez donc pas l’Empereur, s… ! Sur-le-champ l’escorte cria Vive l’Empereur ! à tue-tête. On peut penser si notre héros regarda de tous ses yeux, mais il ne vit que des généraux qui galopaient, suivis, eux aussi, d’une escorte. Les longues crinières pendantes que portaient à leurs casques les dragons de la suite l’empêchèrent de distinguer les figures. Ainsi, je n’ai pu voir l’Empereur sur un champ de bataille, à cause de ces maudits verres d’eau-de-vie ! Cette réflexion le réveilla tout à fait.

On redescendit dans un chemin rempli d’eau ; les chevaux voulurent boire.

— C’est donc l’Empereur qui a passé là ? dit-il à son voisin.