Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/12

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— VI —

Sainte-Beuve se trompait ici, je crois ; et je pris la respectueuse liberté de le lui dire. Nous avions sans doute contribué dans une certaine mesure à hâter le jour où Stendhal devait entrer en communication avec la foule, qui l’avait trop longtemps ignoré. Mais la chose se serait faite sans nous, tout aussi bien et le plus naturellement du monde.

Stendhal avait comme une obscure intuition de la vérité, quand il disait de lui : Je ne serai lu et compris qu’en 1880. Il n’écrivait pas pour la génération, qui se pâmait aux magnifiques amplifications de Chateaubriand, qui écoutait avec transport les tirades emphatiques de Cousin ou les ingénieux développements de Villemain, qui se plaisait à cette phraséologie sentimentale, creuse et sonore, que les disciples de Jean-Jacques avaient mise à la mode. Il s’adressait à un autre genre d’esprits, dont il prévoyait l’éclosion prochaine, qui aimeraient le fait pour le fait, parce qu’il est, comme nous disons aujourd’hui, un document humain ; qui ne demanderaient au peintre des passions humaines que des détails vrais, exactement pris sur nature, sans aucun arrangement de style.

L’école naturaliste n’était point née, quand Stendhal entra enfin dans la célébrité. Mais déjà elle s’agitait sourdement dans tous les ordres de