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et tous les généraux. Vous avez tous trahi l’Empereur aujourd’hui.

— Comment, dit le général en fureur, vous méconnaissez mes ordres ! Savez-vous que je suis le général comte B…, commandant votre division, etc., etc. Il fit des phrases. L’aide de camp se jeta sur les soldats. Le caporal lui lança un coup de baïonnette dans le bras, puis fila avec ses hommes en doublant le pas. Puissent-ils être tous comme toi, répétait le caporal en jurant, les bras et les jambes fracassés ! Tas de freluquets ! Tous vendus aux Bourbons, et trahissant l’Empereur ! Fabrice écoutait avec saisissement cette affreuse accusation.

Vers les dix heures du soir, la petite troupe rejoignit le régiment à l’entrée d’un gros village qui formait plusieurs rues fort étroites, mais Fabrice remarqua que le caporal Aubry évitait de parler à aucun des officiers. Impossible d’avancer ! s’écria le caporal. Toutes ces rues étaient encombrées d’infanterie, de cavaliers et surtout de caissons d’artillerie et de fourgons. Le caporal se présenta à l’issue de trois de ces rues ; après avoir fait vingt pas, il fallait s’arrêter : tout le monde jurait et se fâchait.

— Encore quelque traître qui commande ! s’écria le caporal ; si l’ennemi a l’esprit de tourner le village, nous sommes tous prisonniers comme des chiens. Suivez-moi, vous autres. Fabrice regarda :