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au contraire commençait à se sentir beaucoup d’amitié pour eux.

On marchait sans rien dire depuis deux heures, lorsque le caporal, regardant la grande route, s’écria avec un transport de joie : Voici le régiment ! On fut bientôt sur la route ; mais, hélas ! autour de l’aigle il n’y avait pas deux cents hommes. L’œil de Fabrice eut bientôt aperçu la vivandière : elle marchait à pied, avait les yeux rouges et pleurait de temps à autre. Ce fut en vain que Fabrice chercha la petite charrette et Cocotte.

— Pillés, perdus, volés ! s’écria la vivandière répondant aux regards de notre héros. Celui-ci, sans mot dire, descendit de son cheval, le prit par la bride, et dit à la vivandière : Montez. Elle ne se le fit pas dire deux fois.

— Raccourcis-moi les étriers, fit-elle.

Une fois bien établie à cheval, elle se mit à raconter à Fabrice tous les désastres de la nuit. Après un récit d’une longueur infinie, mais avidement écouté par notre héros qui, à dire vrai, ne comprenait rien à rien, mais avait une tendre amitié pour la vivandière, celle-ci ajouta :

— Et dire que ce sont des Français qui m’ont pillée, battue, abîmée.

— Comment ! ce ne sont pas les ennemis ? dit Fabrice d’un air naïf, qui rendait charmante sa belle figure grave et pâle.

— Que tu es bête, mon pauvre petit ! dit la vi-