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— Qu’importent mes façons à Votre Altesse, répond-il librement, si je fais bien ses affaires ?

— Le bonheur de ce favori, ajoutait-on, n’est pas sans épines. Il faut plaire à un souverain, homme de sens et d’esprit sans doute, mais qui, depuis qu’il est monté sur un trône absolu, semble avoir perdu la tête et montre, par exemple, des soupçons dignes d’une femmelette.

Ernest IV n’est brave qu’à la guerre. Sur les champs de bataille, on l’a vu vingt fois guider une colonne à l’attaque en brave général ; mais après la mort de son père Ernest III, de retour dans ses États, où, pour son malheur, il possède un pouvoir sans limites, il s’est mis à déclamer follement contre les libéraux et la liberté. Bientôt il s’est figuré qu’on le haïssait ; enfin, dans un moment de mauvaise humeur, il a fait pendre deux libéraux, peut-être peu coupables, conseillé à cela par un misérable nommé Rassi, sorte de ministre de la justice.

Depuis ce moment fatal, la vie du prince a été changée ; on le voit tourmenté par les soupçons les plus bizarres. Il n’a pas cinquante ans, et la peur l’a tellement amoindri, si l’on peut parler ainsi, que, dès qu’il parle des jacobins et des projets du comité directeur de Paris, on lui trouve la physionomie d’un vieillard de quatre-vingts ans ; il retombe dans les peurs chimériques de la première enfance. Son favori Rassi, fiscal général