Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 273 —

toutes jambes. Les gendarmes firent quelques pas en courant aussi et criant : Arrête ! arrête ! puis tout rentra dans le silence. À trois cents pas de là, Fabrice s’arrêta pour reprendre haleine. Le bruit de mes pistolets a failli me faire prendre ; c’est bien pour le coup que la duchesse m’eût dit, si jamais il m’eût été donné de revoir ses beaux yeux, que mon âme trouve du plaisir à contempler ce qui arrivera dans dix ans, et oublie de regarder ce qui se passe actuellement à mes côtés.

Fabrice frémit en pensant au danger qu’il venait d’éviter ; il doubla le pas, mais bientôt il ne put s’empêcher de courir, ce qui n’était pas trop prudent, car il se fit remarquer de plusieurs paysans qui regagnaient leur logis. Il ne put prendre sur lui de s’arrêter que dans la montagne, à plus d’une lieue de Grianta, et, même arrêté, il eut une sueur froide en pensant au Spielberg.

Voilà une belle peur ! se dit-il ; en entendant le son de ce mot, il fut presque tenté d’avoir honte. Mais ma tante ne me dit-elle pas que la chose dont j’ai le plus de besoin c’est d’apprendre à me pardonner ? Je me compare toujours à un modèle parfait, et qui ne peut exister. Hé bien ! je me pardonne ma peur, car, d’un autre côté, j’étais bien disposé à défendre ma liberté, et certainement tous les quatre ne seraient pas restés debout pour me conduire en prison. Ce que je fais en ce moment, ajouta-t-il, n’est pas militaire ; au lieu de