Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/347

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l’homme d’imagination elle inspire des romans, hardis il est vrai, mais souvent absurdes.

Il fallait voir l’air indigné de notre héros sous l’œil scrutateur de ce commis de police orné de ses bijoux de cuivre. Si je le tuais, se disait Fabrice, je serais condamné pour meurtre à vingt ans de galères ou à la mort, ce qui est bien moins affreux que le Spielberg avec une chaîne de cent vingt livres à chaque pied et huit onces de pain pour toute nourriture, et cela dure vingt ans ; ainsi je n’en sortirais qu’à quarante-quatre ans. La logique de Fabrice oubliait que puisqu’il avait brûlé son passe-port, rien n’indiquait à l’employé de police qu’il fût le rebelle Fabrice del Dongo.

Notre héros était suffisamment effrayé, comme on le voit ; il l’eût été bien davantage s’il eût connu les pensées qui agitaient le commis de police. Cet homme était ami de Giletti ; on peut juger de sa surprise lorsqu’il vit son passe-port entre les mains d’un autre ; son premier mouvement fut de faire arrêter cet autre, puis il songea que Giletti pouvait bien avoir vendu son passe-port à ce beau jeune homme qui apparemment venait de faire quelque mauvais coup à Parme. Si je l’arrête, se dit-il, Giletti sera compromis ; on découvrira facilement qu’il a vendu son passe-port ; d’un autre côté, que diront mes chefs si l’on vient à vérifier que moi, ami de Giletti, j’ai visé son passeport porté par un autre ? L’employé se leva en