Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/360

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singulier, c’est que cet ex-cocher avait des passions et des façons de voir vives et pittoresques ; il devenait froid et commun dès qu’il écrivait. C’est le contraire de ce que nous voyons dans le monde, se dit Fabrice ; l’on sait maintenant tout exprimer avec grâce, mais les cœurs n’ont rien à dire. Il comprit que le plus grand plaisir qu’il pût faire à ce serviteur fidèle, ce serait de corriger les fautes d’orthographe de ses sonnets.

— On se moque de moi quand je prête mon cahier, disait Ludovic ; mais si votre excellence daignait me dicter l’orthographe des mots lettre à lettre, les envieux ne sauraient plus que dire ; l’orthographe ne fait pas le génie. Ce ne fut que le surlendemain dans la nuit que Fabrice put débarquer en toute sûreté dans un bois de vernes, une lieue avant que d’arriver à Ponte Lago Oscuro. Toute la journée il resta caché dans une chènevière, et Ludovic le précéda à Ferrare ; il y loua un petit logement chez un juif pauvre, qui comprit tout de suite qu’il y avait de l’argent à gagner si l’on savait se taire. Le soir, à la chute du jour, Fabrice entra dans Ferrare monté sur un petit cheval ; il avait bon besoin de ce secours, la chaleur l’avait frappé sur le fleuve ; le coup de couteau qu’il avait à la cuisse, et le coup d’épée que Giletti lui avait donné dans l’épaule, au commencement du combat, s’étaient enflammés et lui donnaient de la fièvre.