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d’un air sévère, l’adjudant ordonna à Fabrice de le suivre sans répliquer.

Après lui avoir fait faire une bonne lieue, à pied, dans l’obscurité rendue plus profonde en apparence par le feu des bivouacs qui de toutes parts éclairaient l’horizon, l’adjudant remit Fabrice à un officier de gendarmerie qui, d’un air grave, lui demanda ses papiers. Fabrice montra son passe-port, qui le qualifiait marchand de baromètres portant sa marchandise.

— Sont-ils bêtes ! s’écria l’officier ; c’est aussi trop fort !

Il fit des questions à notre héros, qui parla de l’Empereur et de la liberté dans les termes du plus vif enthousiasme ; sur quoi l’officier de gendarmerie fut saisi d’un rire fou.

— Parbleu ! tu n’es pas trop adroit, s’écria-t-il. Il est un peu fort de café que l’on ose nous expédier des blancs-becs de ton espèce ! Et, quoi que pût dire Fabrice, qui se tuait à expliquer qu’en effet il n’était pas marchand de baromètres, l’officier l’envoya à la prison de B…, petite ville du voisinage où notre héros arriva sur les trois heures du matin, outré de fureur et mort de fatigue.

Fabrice, d’abord étonné, puis furieux, ne comprenant absolument rien à ce qui lui arrivait, passa trente-trois longues journées dans cette misérable prison ; il écrivait lettres sur lettres au commandant de la place, et c’était la femme du