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Mais à propos, se dit Fabrice étonné en interrompant tout à coup le cours de ses pensées, j’oublie d’être en colère ! Serais-je un de ces grands courages comme l’antiquité en a montré quelques exemples au monde ? Suis-je un héros sans m’en douter ? Comment ! moi qui avais tant de peur de la prison, j’y suis, et je ne me souviens pas d’être triste ! c’est bien le cas de dire que la peur a été cent fois pire que le mal. Quoi ! j’ai besoin de me raisonner pour être affligé de cette prison, qui, comme le dit Blanès, peut durer dix ans comme dix mois ? Serait-ce l’étonnement de tout ce nouvel établissement qui me distrait de la peine que je devrais éprouver ? Peut-être que cette bonne humeur indépendante de ma volonté et peu raisonnable cessera tout à coup, peut-être en un instant je tomberai dans le noir malheur que je devrais éprouver.

Dans tous les cas, il est bien étonnant d’être en prison et de devoir se raisonner pour être triste ! Ma foi, j’en reviens à ma supposition : peut-être que j’ai un grand caractère.

Les rêveries de Fabrice furent interrompues par le menuisier de la citadelle, lequel venait prendre mesure d’abat-jour pour ses fenêtres ; c’était la première fois que cette prison servait, et l’on avait oublié de la compléter en cette partie essentielle.

Ainsi, se dit Fabrice, je vais être privé de cette