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— La pauvre demoiselle s’ennuie bien ici, ajouta le menuisier ; elle passe sa vie là avec ses oiseaux. Ce matin elle vient de faire acheter de beaux orangers que l’on a placés par son ordre à la porte de la tour sous votre fenêtre ; sans la corniche vous pourriez les voir. Il y avait dans cette réponse des mots bien précieux pour Fabrice ; il trouva une façon obligeante de donner quelque argent au menuisier.

— Je fais deux fautes à la fois, lui dit cet homme : je parle à votre excellence et je reçois de l’argent. Après-demain, en revenant pour les abat-jour, j’aurai un oiseau dans ma poche, et si je ne suis pas seul, je ferai semblant de le laisser envoler ; si je puis même, je vous apporterai un livre de prières : vous devez bien souffrir de ne pas pouvoir dire vos offices.

Ainsi, se dit Fabrice, dès qu’il fut seul, ces oiseaux sont à elle, mais dans deux jours je ne les verrai plus ! À cette pensée, ses regards prirent une teinte de malheur. Mais enfin, à son inexprimable joie, après une si longue attente et tant de regards, vers midi Clélia vint soigner ses oiseaux. Fabrice resta immobile et sans respiration, il était debout contre les énormes barreaux de sa fenêtre et fort près. Il remarqua qu’elle ne levait pas les yeux sur lui, mais ses mouvements avaient l’air gêné, comme ceux de quelqu’un qui se sent regardé. Quand elle l’aurait voulu, la pauvre fille