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rietta, tandis que souvent il avait cru que son âme tout entière appartenait à la duchesse. La duchesse d’A*** et la Marietta lui faisaient l’effet maintenant de deux jeunes colombes dont tout le charme serait dans la faiblesse et dans l’innocence, tandis que l’image sublime de Clélia Conti, en s’emparant de toute son âme, allait jusqu’à lui donner de la terreur. Il sentait trop bien que l’éternel bonheur de sa vie allait le forcer de compter avec la fille du gouverneur, et qu’il était en son pouvoir de faire de lui le plus malheureux des hommes. Chaque jour il craignait mortellement de voir se terminer tout à coup, par un caprice sans appel de sa volonté, cette sorte de vie singulière et délicieuse qu’il trouvait auprès d’elle ; toutefois, elle avait déjà rempli de félicité les deux premiers mois de sa prison. C’était le temps où, deux fois la semaine, le général Fabio Conti disait au prince : Je puis donner ma parole d’honneur à votre altesse que le prisonnier del Dongo ne parle à âme qui vive, et passe sa vie dans l’accablement du plus profond désespoir, ou à dormir.

Clélia venait deux ou trois fois le jour voir ses oiseaux, quelquefois pour des instants : si Fabrice ne l’eût pas tant aimée, il eût bien vu qu’il était aimé ; mais il avait des doutes mortels à cet égard. Clélia avait fait placer un piano dans la volière. Tout en frappant les touches, pour que le son de l’instrument pût rendre compte de sa présence et