Aller au contenu

Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 11 —

colère se disputaient son cœur ; ses yeux étaient fixés en ce moment sur le comte Mosca, et les contours si fins de cette belle bouche exprimaient le dédain le plus amer. Toute cette figure disait : Vil courtisan ! Ainsi, pensa le prince, après l’avoir examinée, je perds ce moyen de la rappeler en ce pays. Encore en ce moment, si elle sort de ce cabinet, elle est perdue pour moi. Dieu sait ce qu’elle dira de mes juges à Naples… Et avec cet esprit et cette force de persuasion divine que le Ciel lui a donnés, elle se fera croire de tout le monde. Je lui devrai la réputation d’un tyran ridicule qui se lève la nuit pour regarder sous son lit… Alors, par une manœuvre adroite et comme cherchant à se promener pour diminuer son agitation, le prince se plaça de nouveau devant la porte du cabinet ; le comte était à sa droite à trois pas de distance, pâle, défait et tellement tremblant, qu’il fut obligé de chercher un appui sur le dos du fauteuil que la duchesse avait occupé au commencement de l’audience, et que le prince dans un mouvement de colère avait poussé au loin. Le comte était amoureux. Si la duchesse part, je la suis, se disait-il ; mais voudra-t-elle de moi à sa suite ? voilà la question.

À la gauche du prince, la duchesse debout, les bras croisés et serrés contre la poitrine, le regardait avec une impertinence admirable ; une pâleur complète et profonde avait succédé aux vives cou-