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— J’admire votre délicatesse ; comme je suis la fille du gouverneur, vous ne me parlez jamais du désir de recouvrer la liberté !

— C’est que je me garde bien d’avoir un désir aussi absurde, lui répondit Fabrice ; une fois de retour à Parme, comment vous reverrais-je ? et la vie me serait désormais insupportable si je ne pouvais vous dire tout ce que je pense… non, pas précisément tout ce que je pense, vous y mettez bon ordre ; mais enfin, malgré votre méchanceté, vivre sans vous voir tous les jours serait pour moi un bien autre supplice que cette prison ! De la vie je ne fus aussi heureux !… N’est-il pas plaisant de voir que le bonheur m’attendait en prison ?

— Il y a bien des choses à dire sur cet article, répondit Clélia d’un air qui devint tout à coup excessivement sérieux et presque sinistre.

— Comment ! s’écria Fabrice fort alarmé, serais-je exposé à perdre cette place si petite que j’ai pu gagner dans votre cœur, et qui fait ma seule joie en ce monde ?

— Oui, lui dit-elle, j’ai tout lieu de croire que vous manquez de probité envers moi, quoique passant d’ailleurs dans le monde pour fort galant homme ; mais je ne veux pas traiter ce sujet aujourd’hui.

Cette ouverture singulière jeta beaucoup d’embarras dans leur conversation, et souvent l’un et l’autre eurent les larmes aux yeux.