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sur leurs têtes, il sortit, comme nous l’avons dit, par la seconde fenêtre de sa chambre, celle qui avait jour sur le toit d’une sorte de vaste corps de garde. Par une bizarrerie de malade, dès que le général Fabio Conti avait pu parler, il avait fait monter deux cents soldats dans cet ancien corps de garde abandonné depuis un siècle. Il disait qu’après l’avoir empoisonné on voulait l’assassiner dans son lit, et ces deux cents soldats devaient le garder. On peut juger de l’effet que cette mesure imprévue produisit sur le cœur de Clélia : cette fille pieuse sentait fort bien jusqu’à quel point elle trahissait son père, et un père qui venait d’être presque empoisonné dans l’intérêt du prisonnier qu’elle aimait. Elle vit presque dans l’arrivée imprévue de ces deux cents hommes un arrêt de la Providence qui lui défendait d’aller plus avant et de rendre la liberté à Fabrice.

Mais tout le monde dans Parme parlait de la mort prochaine du prisonnier. On avait encore traité ce triste sujet à la fête même donnée à l’occasion du mariage de la signora Giulia Crescenzi. Puisque pour une pareille vétille, un coup d’épée maladroit donné à un comédien, un homme de la naissance de Fabrice n’était pas mis en liberté au bout de neuf mois de prison et avec la protection du premier ministre, c’est qu’il y avait de la politique dans son affaire. Alors, inutile de s’occuper davantage de lui, avait-on dit ; s’il ne convenait