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prince, ne sachant plus comment abuser de la dignité de ce grand-juge, lui donnait des coups de pied ; si les coups de pied lui faisaient mal, il se mettait à pleurer. Mais l’instinct de bouffonnerie était si puissant chez lui, qu’on le voyait tous les jours préférer le salon d’un ministre qui le bafouait, à son propre salon où il régnait despotiquement sur toutes les robes noires du pays. Le Rassi s’était surtout fait une position à part, en ce qu’il était impossible au noble le plus insolent de pouvoir l’humilier ; sa façon de se venger des injures qu’il essuyait toute la journée était de les raconter au prince, auquel il s’était acquis le privilège de tout dire ; il est vrai que souvent la réponse était un soufflet bien appliqué et qui faisait mal, mais il ne s’en formalisait aucunement. La présence de ce grand-juge distrayait le prince dans ses moments de mauvaise humeur, alors il s’amusait à l’outrager. On voit que Rassi était à peu près l’homme parfait à la cour : sans honneur et sans humeur.

— Il faut du secret avant tout ! lui cria le prince sans le saluer, et le traitant tout à fait comme un cuistre, lui qui était si poli avec tout le monde. De quand votre sentence est-elle datée ?

— Altesse sérénissime, d’hier matin.

— De combien de juges est-elle signée ?

— De tous les cinq.

— Et la peine ?