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Maintenant il lui faut un aide de camp, remède à l’ennui. Eh bien ! quand il m’offrirait ce fameux million qui nous est nécessaire pour bien vivre à Naples ou à Paris, je ne voudrais pas être son remède à l’ennui, et passer chaque jour quatre ou cinq heures avec son altesse. D’ailleurs, comme j’ai plus d’esprit que lui, au bout d’un mois il me prendrait pour un monstre.

Le feu prince était méchant et envieux, mais il avait fait la guerre et commandé des corps d’armée, ce qui lui avait donné de la tenue ; on trouvait en lui l’étoffe d’un prince, et je pouvais être ministre bon ou mauvais. Avec cet honnête homme de fils candide et vraiment bon, je suis forcé d’être un intrigant. Me voici le rival de la dernière femmelette du château, et rival fort inférieur, car je mépriserai cent détails nécessaires. Par exemple, il y a trois jours, une de ces femmes qui distribuent les serviettes blanches tous les matins dans les appartements a eu l’idée de faire perdre au prince la clef d’un de ses bureaux anglais. Sur quoi son altesse a refusé de s’occuper de toutes les affaires dont les papiers se trouvent dans ce bureau ; à la vérité, pour vingt francs on peut faire détacher les planches qui en forment le fond, ou employer de fausses clefs ; mais Ranuce-Ernest V m’a dit que ce serait donner de mauvaises habitudes au serrurier de la cour.

Jusqu’ici il lui a été absolument impossible de