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mauvais augure. Depuis sa faute, la physionomie de Clélia avait pris un caractère de noblesse et de sérieux vraiment remarquable ; on eût dit qu’elle avait trente ans. Dans ce changement si extraordinaire, Fabrice aperçut le reflet de quelque ferme résolution. À chaque instant de la journée, se disait-il, elle se jure à elle-même d’être fidèle au vœu qu’elle a fait à la Madone, et de ne jamais me revoir.

Fabrice ne devinait qu’en partie les malheurs de Clélia ; elle savait que son père, tombé dans une profonde disgrâce, ne pouvait rentrer à Parme et reparaître à la cour (chose sans laquelle la vie était impossible pour lui) ; que le jour de son mariage avec le marquis Crescenzi, elle écrivit à son père qu’elle désirait ce mariage. Le général était alors réfugié à Turin, et malade de chagrin. À la vérité, le contre-coup de cette grande résolution avait été de la vieillir de dix ans.

Elle avait fort bien découvert que Fabrice avait une fenêtre vis-à-vis le palais Contarini ; mais elle n’avait eu le malheur de le regarder qu’une fois ; dès qu’elle apercevait un air de tête ou une tournure d’homme ressemblant un peu à la sienne, elle fermait les yeux à l’instant. Sa piété profonde et sa confiance dans le secours de la Madone étaient désormais ses seules ressources. Elle avait la douleur de ne pas avoir d’estime pour son père ; le caractère de son futur mari lui semblait parfaite-