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Mais le marquis Crescenzi avait été fort piqué de voir sa femme reléguée aussi loin du trône ; toute la soirée il avait été occupé à persuader à une dame assise à trois fauteuils de la princesse, et dont le mari lui avait des obligations d’argent, qu’elle ferait bien de changer de place avec la marquise. La pauvre femme résistant, comme il était naturel, il alla chercher le mari débiteur, qui fit entendre à sa moitié la triste voix de la raison, et enfin le marquis eut le plaisir de consommer l’échange : il alla chercher sa femme.

— Vous serez toujours trop modeste, lui dit-il ; pourquoi marcher ainsi les yeux baissés ? on vous prendra pour une de ces bourgeoises tout étonnées de se trouver ici, et que tout le monde est étonné d’y voir. Cette folle de grande-maîtresse n’en fait jamais d’autres ! Et l’on parle de retarder les progrès du jacobinisme ! Songez que votre mari occupe la première place mâle de la cour de la princesse ; et quand même les républicains parviendraient à supprimer la cour et même la noblesse, votre mari serait encore l’homme le plus riche de cet État. C’est là une idée que vous ne vous mettez point assez dans la tête.

Le fauteuil où le marquis eut le plaisir d’installer sa femme n’était qu’à six pas de la table de jeu du prince ; elle ne voyait Fabrice qu’en profil, mais elle le trouva tellement maigri, il avait surtout l’air tellement au-dessus de tout ce qui pou-