Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/383

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 379 —

Arriva le moment où Fabrice dut changer de place au whist ; alors il se trouva précisément en face de Clélia, et se livra plusieurs fois au bonheur de la contempler. La pauvre marquise, se sentant regardée par lui, perdait tout à fait contenance. Plusieurs fois elle oublia ce qu’elle devait à son vœu : dans son désir de deviner ce qui se passait dans le cœur de Fabrice, elle fixait les yeux sur lui.

Le jeu du prince terminé, les dames se levèrent pour passer dans la salle du souper. Il y eut un peu de désordre. Fabrice se trouva tout près de Clélia ; il était encore très-résolu, mais il vint à reconnaître un parfum très faible qu’elle mettait dans ses robes ; cette sensation renversa tout ce qu’il s’était promis. Il s’approcha d’elle et prononça, à demi-voix et comme se parlant à soi-même, deux vers de ce sonnet de Pétrarque, qu’il lui avait envoyé du lac Majeur, imprimé sur un mouchoir de soie : « Quel n’était pas mon bonheur quand le vulgaire me croyait malheureux, et maintenant que mon sort est changé ! »

Non, il ne m’a point oubliée, se dit Clélia avec un transport de joie. Cette belle âme n’est point inconstante !


Non, vous ne me verrez jamais changer,
Beaux yeux qui m’avez appris à aimer.

Clélia osa se répéter à elle-même ces deux vers de Pétrarque.