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Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/46

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Cette idée fut du désespoir pour cette jeune fille qui avait l’âme élevée. Ce qui rend mon procédé tout à fait avilissant, ajouta-t-elle, c’est que jadis, quand nous nous rencontrâmes pour la première fois, aussi avec accompagnement de gendarmes, comme il le dit, c’était moi qui me trouvais prisonnière et lui me rendait service et me tirait d’un fort grand embarras. Oui, il faut en convenir, mon procédé est complet, c’est à la fois de la grossièreté et de l’ingratitude. Hélas ! le pauvre jeune homme ! maintenant qu’il est dans le malheur tout le monde va se montrer ingrat envers lui. Il m’avait bien dit alors : Vous souviendrez-vous de mon nom à Parme ? Combien il me méprise à l’heure qu’il est ! Un mot poli était si facile à dire ! Il faut l’avouer, oui, ma conduite a été atroce avec lui. Jadis, sans l’offre généreuse de la voiture de sa mère, j’aurais dû suivre les gendarmes à pied dans la poussière, ou, ce qui est bien pis, monter en croupe derrière un de ces gens-là ; c’était alors mon père qui était arrêté et moi sans défense ! Oui, mon procédé est complet. Et combien un être comme lui a dû le sentir vivement ! Quel contraste entre sa physionomie si noble et mon procédé ! Quelle noblesse ! quelle sérénité ! Comme il avait l’air d’un héros entouré de ses vils ennemis ! Je comprends maintenant la passion de la duchesse : puisqu’il est ainsi au milieu d’un événement contrariant et qui