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quables de tout raisonnement politique. Eh bien ! ma fille si belle, si sage, si pieuse, prend de l’humeur dès qu’un jeune homme bien établi à la cour entreprend de lui faire agréer ses hommages. Ce prétendant est-il éconduit, son caractère devient moins sombre, et je la vois presque gaie, jusqu’à ce qu’un autre épouseur se mette sur les rangs. Le plus bel homme de la cour, le comte Baldi, s’est présenté et a déplu ; l’homme le plus riche des États de son altesse, le marquis Crescenzi, lui a succédé : elle prétend qu’il ferait son malheur.

Décidément, disait d’autres fois le général, les yeux de ma fille sont plus beaux que ceux de la duchesse, en cela surtout qu’en de rares occasions ils sont susceptibles d’une expression plus profonde ; mais cette expression magnifique, quand est-ce qu’on la lui voit ? jamais dans un salon où elle pourrait lui faire honneur, mais bien à la promenade, seule avec moi, où elle se laissera attendrir, par exemple, par le malheur de quelque manant hideux. Conserve quelque souvenir de ce regard sublime, lui dis-je quelquefois, pour les salons où nous paraîtrons ce soir. Point : daigne-t-elle me suivre dans le monde, sa figure noble et pure offre l’expression assez hautaine et peu encourageante de l’obéissance passive. Le général n’épargnait aucune démarche, comme on voit, pour se trouver un gendre convenable, mais il disait vrai.