Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/59

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contrariée, quoiqu’elle se fit des reproches ; les rêveries auxquelles on l’arrachait n’étaient point sans quelque douceur. Voilà un importun que je vais joliment recevoir ! pensa-t-elle. Elle tournait la tête avec un regard altier, lorsqu’elle aperçut la figure timide de l’archevêque qui s’approchait du balcon par de petits mouvements insensibles. Ce saint homme n’a point d’usage, pensa Clélia ; pourquoi venir troubler une pauvre fille telle que moi ? Ma tranquillité est tout ce que je possède. Elle le saluait avec respect, mais aussi d’un air hautain, lorsque le prélat lui dit :

— Mademoiselle, savez-vous l’horrible nouvelle ?

Les yeux de la jeune fille avaient déjà pris une tout autre expression ; mais, suivant les instructions cent fois répétées de son père, elle répondit avec un air d’ignorance que le langage de ses yeux contredisait hautement :

— Je n’ai rien appris, monseigneur.

— Mon premier grand-vicaire, le pauvre Fabrice del Dongo, qui est coupable comme moi de la mort de ce brigand de Giletti, a été enlevé à Bologne, où il vivait sous le nom supposé de Joseph Bossi ; on l’a renfermé dans votre citadelle ; il y est arrivé enchaîné à la voiture même qui le portait. Une sorte de geôlier nommé Barbone, qui jadis eut sa grâce après avoir assassiné un de ses frères, a voulu faire éprouver une violence personnelle à