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d’une femme malheureuse, vont décider de son sort. En montant les trois cent quatre-vingt-dix marches de sa prison à la tour Farnèse, sous les yeux du gouverneur, Fabrice, qui avait tant redouté ce moment, trouva qu’il n’avait pas le temps de songer au malheur.

En rentrant chez elle après la soirée du comte Zurla, la duchesse renvoya ses femmes d’un geste ; puis, se laissant tomber tout habillée sur son lit : Fabrice, s’écria-t-elle à haute voix, est au pouvoir de ses ennemis, et peut-être à cause de moi ils lui donneront du poison ! Comment peindre le moment de désespoir qui suivit cet exposé de la situation, chez une femme aussi peu raisonnable, aussi esclave de la sensation présente, et, sans se l’avouer, éperdument amoureuse du jeune prisonnier ? Ce furent des cris inarticulés, des transports de rage, des mouvements convulsifs, mais pas une larme. Elle renvoyait ses femmes pour les cacher, elle pensait qu’elle allait éclater en sanglots dès qu’elle se trouverait seule ; mais les larmes, ce premier soulagement des grandes douleurs, lui manquèrent tout à fait. La colère, l’indignation, le sentiment de son infériorité vis-à-vis du prince, dominaient trop cette âme altière.

Suis-je assez humiliée ! s’écriait-elle à chaque instant ; on m’outrage, et, bien plus, on expose la vie de Fabrice ! et je ne me vengerais pas ! Halte-là, mon prince ! vous me tuez, soit, vous