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— Je permets tout, dit le comte en continuant, d’un air distrait, à frapper la table de marbre avec sa tabatière d’or ; je permets tout et je serai reconnaissant.

— Donnez-moi des lettres de noblesse transmissible, indépendamment de la croix, et je serai plus que satisfait. Quand je parle d’anoblissement au prince, il me répond : Un coquin tel que toi, noble ! il faudrait fermer boutique dès le lendemain ; personne à Parme ne voudrait plus se faire anoblir. Pour en revenir à l’affaire du Milanais, le prince me disait, il n’y a pas trois jours : Il n’y a que ce fripon-là pour suivre le fil de nos intrigues ; si je le chasse ou s’il suit la duchesse, il vaut autant que je renonce à l’espoir de me voir un jour le chef libéral et adoré de toute l’Italie.

À ce mot le comte respira : Fabrice ne mourra pas, se dit-il.

De sa vie le Rassi n’avait pu arriver à une conversation intime avec le premier ministre : il était hors de lui de bonheur ; il se voyait à la veille de pouvoir quitter ce nom de Rassi, devenu dans le pays synonyme de tout ce qu’il y a de bas et de vil ; le petit peuple donnait le nom de Rassi aux chiens enragés ; depuis peu, des soldats s’étaient battus en duel parce qu’un de leurs camarades les avait appelés Rassi. Enfin il ne se passait pas de semaine sans que ce malheureux nom vînt s’enchâsser dans quelque sonnet atroce. Son fils,