Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, I, 1927, éd. Martineau.djvu/238

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l’enfer ? Mais au fond, je ne me repens point. Je commettrais de nouveau ma faute si elle était à commettre. Que le ciel seulement ne me punisse pas dès ce monde et dans mes enfants, et j’aurai plus que je ne mérite. Mais toi, du moins, mon Julien, s’écriait-elle dans d’autres moments, es-tu heureux ? Trouves-tu que je t’aime assez ?

La méfiance et l’orgueil souffrant de Julien, qui avait surtout besoin d’un amour à sacrifices, ne tinrent pas devant la vue d’un sacrifice si grand, si indubitable et fait à chaque instant. Il adorait madame de Rênal. Elle a beau être noble, et moi le fils d’un ouvrier, elle m’aime. Je ne suis pas auprès d’elle un valet de chambre chargé des fonctions d’amant. Cette crainte éloignée, Julien tomba dans toutes les folies de l’amour, dans ses incertitudes mortelles.

— Au moins, s’écriait-elle en voyant ses doutes sur son amour, que je te rende bien heureux pendant le peu de jours que nous avons à passer ensemble ! Hâtons-nous ; demain peut-être je ne serai plus à toi. Si le ciel me frappe dans mes enfants, c’est en vain que je chercherai à ne vivre que pour t’aimer, à ne pas voir que c’est mon crime qui les tue. Je ne pourrai survivre à ce coup. Quand je le voudrais, je ne pourrais ; je deviendrais folle.